Ici, comme un peu partout, à partir du dixième jour du mois de carême, les nuits sont agitées par la randonnée des enfants. Garçons et filles, en petits groupes de cinq à dix, séparément, vont de maison en maison pour chercher leurs pitances. Ils reçoivent, mil, riz, maïs, arachide, morceaux de dattes ou pièces de monnaie. La pratique s’appelle le salalawalé, qui existe depuis la nuit des temps, et symbolise la solidarité, la cohésion sociale, en créant entre les enfants d’une même classe d’âges la sympathie. Quand cette période arrive inéluctablement, rares sont les enfants qui restent à la maison, quelque soit la volonté de leurs parents. Munis de tasses, de calebasses, de bâtons, de queue de bête, etc, ces garnements chantonnent, dansent, se livrent à la bouffonnerie ou yogoro. Cette ambiance festive ne laisse personne indifférente. Les jeux des enfants réveillent chez de nombreuses vieilles personnes, des souvenirs d’enfance. Une quadragénaire avoue que si l’enfance était à refaire, elle, elle allait s’adonner à ces moments délicieux, qu’elle n’a pas eu la chance d’en jouir à cause de sa paralysie qui finira, selon ses propres termes, par l’emporter dans la tombe. C’est pourquoi, poursuit la même dame, chaque fois que les enfants viennent dans ma maison, je ne les mets jamais à la porte, leur spectacle fanfaron est amusant.
Après la prière surérogatoire ou nafila, les enfants s’empressent de prendre leurs affaires pour aller dans les maisons. On les voit s’écrabouiller dans les rues poussiéreuses, les filles toujours de leur côté, puisque leurs mères les déconseillent de ne pas se mélanger avec les garçons. Aussi Sirantou va furtivement tirer sa fille chaque fois qu’elle constate que les garçons se mêlent à leur groupe. Les garçons de nos jours ont des comportements malsains. S’indigne dit-elle. Les rôles sont partagés au sein des groupes. Les garçons font la bouffonnerie ou yogoro. Ils s’habillent avec des sacs de céréales vides et se mettent à pivoter interminablement. Certains se couchent à même le sol sans le moindre signe de vie. Ils restent figés dans cette position jusqu’à ce que des femmes qu’ils qualifient de bonnes mères, dont les places sont réservées dans le paradis sortent avec des cadeaux. Concernant les filles, certaines chantent, d’autres dansent, d’autres aussi sont chargées de tapoter à l’aide de deux tiges de mil sur une calebasse renversée dans un récipient rempli d’eau. Le doum doum incessant déboussole les femmes. De l’avis de Cheickné l’enseignant, ces histoires de salawalé, c’est dans les campagnes qu’on les rencontre, sinon dans les grandes villes, il n’en n’est pas question. On n’a pas accès facilement aux maisons, toutes sont fermées à tout moment, comme chez les blancs. Cet homme d’ajouter que si une famille refuse de servir les enfants, ils la maudissent mille fois avant de partir.
Les céréales, mil, riz, maïs, arachide, etc que les enfants glanent çà et là, sont jalousement conservées jusqu’à la fin du mois de carême. En ce moment, tous les enfants se retrouvent, garçons et filles, et choisissent un jour pour organiser ensemble un grand festin. Les filles préparent les repas, les garçons apportent du bois pour la cuisine. Si les condiments et autres ingrédients viennent à manquer, on sollicite les parents. Quand le repas est prêt, tous les enfants mangent en communion. Une partie de la nourriture est placée en tartines sur des morceaux de calebasses destinée à Bagawa. Bagawa, c’est-à-dire la mère Gawa. Gawa, c’est l’arbre Banansoun(en langue bamanankan), aux feuilles larges et vivifiantes. Là où cet arbre n’existe pas, les enfants se rendent au marigot, à la rivière ou dans un ravin. Dans tous les cas, c’est toujours Bagawa le grand bénéficiaire. L’opération consiste à jeter à l’endroit choisi, la ration alimentaire de Bagawa qu’il doit recevoir chaque année et que nul n’a le droit de toucher, par crainte d’être frappé de malédictions.
En jetant à Bagawa son plat, les enfants lui font des bénédictions pour la santé et la longévité de l’arbre.
Ils retournent alors en courant à toute enjambée, gare à celui ou celle qui regarde par derrière, ou tombe par malchance.
Aliou, lui, a remarqué que l’année où les enfants donne à manger à Bagawa, il pleut abondamment et les récoltes sont bonnes.
Signé Ouka BA